Comédienne

lundi 25 avril 2016

Chronique du 25 avril: ENCORE UNE FOIS SI VOUS LE PERMETTEZ présentée chez Duceppe


Guylaine est Nana Tremblay


Publié par Esther Hardy le Lun. 25 avril 2016 à 10h23 - Contenu original
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Crédit photos: Caroline Laberge pour le Théâtre DUCEPPE


Nana...un rôle sur mesure pour Guylaine Tremblay!

À son tour, Guylaine Tremblay montait sur les planches de la Place des Arts pour sa première de la pièce « Encore une fois si vous le permettez ». La comédienne enfile les chaussures du personnage mythique de Nana, la mère de Michel Tremblay, quelques heures à peine après le décès inattendu de Rita Lafontaine, sa prédécesseure qui a initialement créé le personnage en 1998 au Rideau Vert. DUCEPPE assure la production de cette très belle pièce de Tremblay présentée à la salle Maisonneuve de la PDA jusqu’au 14 mai. Michel Poirier a fignolé la mise en scène, Guylaine Tremblay incarne Nana et Henri Chassé, son fils, l’auteur de cette œuvre magnifique, Michel Tremblay lui-même.


Guylaine Tremblay effectue un retour triomphal après quatre ans loin de la scène…
Elle ne perdait rien dans l’attente, car à la tombée du rideau le soir de la première, le public s’est levé en un bloc et lui a offert une ovation debout de quatre à cinq minutes. Un hommage exceptionnel!

Parmi la foule conviée, on retrouvait des amis du milieu, des journalistes, de la famille, donc des gens qui fréquentent habituellement les théâtres et qui en ont vu d’autres… Pourtant, l’enthousiasme de cette assistance ne tarissait pas. Guylaine était touchée, elle a vécu un moment de communion avec son public admiratif conquis par sa puissante interprétation.


Une belle pièce touchante. On rit, on pleure, on aime!

Je dois le dire, j’ai été impressionnée... Bravo à Guylaine Tremblay! Extrêmement généreuse, elle vit intensément chacune de ses intentions, chacun de ses gestes, de ses paroles, de ses silences et de ses respirations… en fait, TOUT en elle est Nana. Du bout des cheveux jusqu’au bout des ongles, Nana revit. Une belle Nana énergique avec du caractère, une femme ratoureuse et colorée, toujours prête à inventer toutes sortes d’entourloupettes pour arriver à ses fins. Nana vit son quotidien telle une improvisation perpétuelle avec quelques touches de Commedia dell’arte. Avec son parler chargé d’images et d’exagérations loquaces, elle est hilarante, touchante, extrêmement énergique, aimante, manipulatrice, profondément concernée…une vraie maman.


« Encore une fois si vous le permettez » est un hommage très particulier d’un fils à sa mère… Sous la plume de Michel Tremblay ce simple hommage chargé d’admiration se transforme en un moment d’anthologie de la vie quotidienne avec les dialogues savoureux qu’on lui connaît. Une fresque décrivant admirablement nos délicieuses mères québécoises avec tout leur revers, leur originalité, leur tempérament chaud et emporté, leur côté ratoureux et délicieux à la fois, naïf même et qui peut en un instant se transformer en une tempête dès qu’elles croient qu’on a peut-être un peu exagéré.





Rencontre informelle avec Guylaine Tremblay
Moi : Est-ce que je me trompe, mais je crois que ce rôle fera date dans votre carrière.

Guylaine Tremblay : Non, vous ne vous trompez pas. Nana est un personnage fort, coloré, qui a ses qualités et ses travers. J’aime les personnages imparfaits qui ont de l’humanité. Elle a vécu sa vie et c’est juste dommage qu’elle soit morte si jeune à 57 ans. Elle est forte et vulnérable à la fois, c’est un très beau personnage plus grand que nature. J’étais nerveuse parce que j’avais vu Rita (Lafontaine) et Louison Danis la jouer. Je crois qu’il va y avoir un avant et un après Nana. Ce ne sera plus pareil.

La Nana de Guylaine Tremblay est un personnage adorable et bon enfant, une bonne Québécoise avec un franc-parler qui exprime en mots simples ce qui émane directement des effluves de son cœur. Par conséquent, elle connaît le chemin de la simplicité vers le nôtre et s’y connecte directement. Le rouge de ses vêtements témoigne de son feu où le « bon sens » est plus important que les apparences. Elle exagère et dramatise en utilisant un vocabulaire extraordinairement imagé.


Michel Poirier, Guylaine Tremblay et Henri Chassé

D’une grande simplicité, la mise en scène de Michel Poirier est efficace: elle ramène aisément à la surface le tempérament chaud de Nana et met en exergue les couleurs de cette femme à la fois forte et vulnérable, tout en nous convaincant de la gentillesse de son fils toujours prêt à l’écouter, à la taquiner, à être le fidèle témoin de ses coquineries. Ce dernier est interprété avec la complicité et le charme légendaire d’Henri Chassé qui assure aussi la narration de sa voix chaude.


Crédits: Caroline Laberge


Le scénographe Olivier Landreville a fabriqué un décor dépouillé et efficace qui illustre bien le regard d’un enfant où certains aspects sont disproportionnés. Nana marche de long en large d’un pied ferme sur son damier de cuisine, comme si elle roulait sur une autoroute et voulait faire échec et mat à tout obstacle. Malheureusement, les dés sont pipés et malgré sa force de caractère, on connaît le triste dénouement de sa vie.


Le puissant prologue, une mise en abyme digne de Tremblay, m’a beaucoup plu en cette énumération d’œuvres théâtrales marquantes, de scènes et de personnages iconiques, etc. que je vous laisse le soin de découvrir vous-même en allant voir ce beau spectacle.






À travers les nombreux écrits de Michel Tremblay, on retrouve son livre « La traversée du continent » où il raconte l’épopée de sa mère entre sa Saskatchewan natale et le Québec. Même si elle n’est pas québécoise de souche, avec son côté extrêmement coloré, Nana me rappelle étrangement les gens du Saguenay Lac St-Jean, ces conteurs nés qu’on aime entendre nous parler en images.


En terminant, je fais une petite bifurcation pour souligner le départ beaucoup trop abrupt d'une femme et une comédienne exceptionnelle, Rita Lafontaine. Un trésor de talent est parti, une très grande perte pour notre famille artistique québécoise, celle qui a été découverte par Michel Tremblay et qui a incarné de nombreuses mères, femmes et personnages clefs de ses pièces. Elle a revêtu avec finesse et talent l’archétype de la mère québécoise dans de nombreux téléromans et films d’ici. Un hommage lui a été adressé dès l’ouverture du rideau juste avant que Guylaine nous éblouisse. 


Archives Le Soleil


Avec cette pièce, Michel Tremblay nous demande « Encore une fois, si vous permettez », sous-entendant : « je vais faire revivre ma mère une autre fois juste parce qu’elle me manque »… Pour ma part, emplie du charme de cette riche découverte, je lui réponds: « Avec grand plaisir et aussi souvent que vous le désirez! ».




La pièce «Encore une fois, si vous le permettez» est à l'affiche au Théâtre DUCEPPE jusqu'au 14 mai 2016. Visitez la billetterie de la Place des Arts pour vous procurer des billets.

mercredi 6 avril 2016

Chronique du 6 avril 2016: la pièce QUILLS présentée à l'usine C!

QUILLS = Exquis!





















Publié par Esther Hardy le Mer. 6 avril 2016 à 15h30 - Contenu original
Théâtre, Doug Wright, Esther aux premières loges, Jean-Pierre Cloutier, QUILLS, Robert Lepage, Usine C

Crédit photos: Stéphane Bourgeois

En coproduction avec le Théâtre du Trident, Ex Machina présente la pièce «Quills» à L’Usine C jusqu’au 9 avril, dans une mise en scène de Jean-Pierre Cloutier et de Robert Lepage avec Érika Gagnon, Pierre-Olivier Grondin, Jean-Sébastien Ouellette, Robert Lepage, Jean-Pierre Cloutier et Mary-Lee Picknell.

D’une saveur à la fois poétique et lubrique, ce texte extrêmement intelligent de l’américain Doug Wright et savamment traduit par Jean-Pierre Cloutier nous transporte au milieu d’une histoire lugubre, mais tellement bien écrite qu’elle en devient captivante. Robert Lepage et Jean-Pierre Cloutier ont peaufiné une mise en scène extrêmement bien ficelée. Du grand art.







Je ne m’attendais pas à être séduite à ce point et je ne parle pas de l’impact du Marquis de Sade expert en la matière, mais de toute la facture de cette création. Je ne taris pas d’éloge!. Tout y est : excellente interprétation, mise en scène de premier ordre, je dirais même la meilleure et une scénographie étonnante. Ce spectacle n’a de commun que l’histoire avec le film de Philip Kaufman sorti en 2000 « QUILLS- la plume et le sang ».


«Quills» raconte la fin de vie du Marquis de Sade campé par Robert Lepage, séquestré à l’asile de Charenton en France et revendiquant par tous les moyens le droit d’écrire et de diffuser les arabesques de son audacieuse plume érotique pour tout son auditoire à la fois subjugué et assoiffé de divertissement. L’intrigue aura son dénouement dans les efforts toujours plus exagérés de l’abbé, incarné par Jean-Pierre Cloutier qui croit être capable de le sauver en l’obligeant à cesser l’écriture et la diffusion de ses œuvres.







Reconnu mondialement, Robert Lepage a une réputation qui n’est plus à faire. Son aura le précède, il a fait sa marque avec des styles surprenants et de nombreuses innovations au théâtre, utilisant intelligemment la technologie dans sa scénographie qui parfois devient même un nouveau protagoniste de l’histoire. Donc, on aime ou on n’aime pas. Personnellement, je ne suis pas attachée à la technologie sur scène, néanmoins dans «Quills», elle va bien au-delà de tout voile qui masquerait l’art du jeu avec une trop grande présence. En fait, la technologie y est si bien utilisée, qu’elle se fond dans l’histoire servant admirablement celle-ci. Autant le texte raffiné est magnifiquement bien construit, autant la technologie vient ajouter une structure dans laquelle celui-ci se déploie admirablement.


Et pour ce qui est de son interprétation, Robert Lepage campe un Marquis de Sade absolument exquis. J’ai tout aimé de son interprétation. Pour résumer ma pensée : imaginez simplement le marquis de Sade incarné par Robert Lepage et vous saisirez une parcelle des effluves de son charme, de sa classe, de sa capacité de contrôle et des subtiles nuances de son jeu. Cet aristocrate excentrique et extraverti lui va comme un gant. Il ne manque pas d’élégance et de raffinement, a fière allure et est tout simplement délectable.








À la fois naturel et soutenu dans le discours, notons une très haute qualité de jeu de la part de tous les interprètes. Dès l’entrée en scène de l’extravagante épouse du Marquis, campée par Érika Gagnon, son jeu raffiné, énergique et puissant, met la table à cet excellent spectacle. Le personnage de Renée Pélagie, cette jolie marquise, est féminine, émotive, dramatique comme on imagine la femme de Sade. Toutefois, un peu plus en amont dans la pièce, elle devient plus intime et affiche des positions provocantes, on voit alors qu’elle n’est pas sans partager certains goûts licencieux de son mari.








Incarné par le metteur en scène Jean-Pierre Cloutier, l’abbé n’a rien à envier à la marquise. Ce personnage doux déborde de bonnes intentions et il est tout aussi entêté que le marquis. Néanmoins, il s’attaque à un ennemi d'une pointure trop grande pour lui, et ironiquement, fomente sa propre chute en voulant soit-disant sauver ce dernier.








Revenons à l’exceptionnelle mise en scène, du haut de gamme à la Lepage. Comme mentionné précédemment, je croyais ne pas être « fan » de l’aspect plus technique de sa signature. Néanmoins, force est de constater à quel point elle sert le propos. Par moments choisis, des miroirs deviennent transparents pour nous laisser voir la scène qu’on imagine et illustrer ce qui se joue de l’autre côté du miroir. En d'autres moments, on peut voir deux scènes à la fois: devant les miroirs se joue celle qui suit les événements et derrière, celle imagée, plus détaillée avec du croustillant. Offrant une richesse de réflexions sur différents aspects de l'action, on peut même voir jusqu’à trois différentes images à la fois. Absolument génial!


De plus, ces miroirs permettent aux comédiens de jouer de dos, nous offrant trois profils supplémentaires de ces derniers, ce qui témoigne d’une mise en scène très soucieuse et d’autant plus généreuse envers le public. Aussi, ils contribuent à enrichir la liberté de jeu des comédiens, leur offrant la possibilité de position plus naturelle, libre des habituelles contraintes au théâtre, ce qui est indéniablement la signature d’excellence des mises en scène de Robert Lepage.





Je garde en tête un moment très puissant lors des cauchemars de l’abbé: la fabuleuse scène de sexe est bouleversante et le jeu avec la croix témoigne de l’audace des comédiens. Puis, un autre moment fort du spectacle : la magnifique scène lorsque le Marquis raconte une histoire à tous les malades séquestrés qui la répètent ensuite naïvement de bouche à oreille.


Naturellement, la qualité du texte m’a beaucoup interpellée. Voici, quelques répliques d’un superbe ton poétique qui m’ont particulièrement touchée et que je paraphrase ici :


«C’est toujours dans l’adversité que s’épanouit l’artiste.»

«La conversation, comme certaines parties de notre anatomie, se conserve mieux hydratée.»

«Nous laissons des flaques d’amour partout, l’autographe de votre infortune!»







Et si je poussais mes exigences à la perfection ultime, ma seule petite critique serait un manque d’une certaine dose de sensualité chez le marquis, une parcelle d’érotisme dans le geste. En fait, j’aurais aimé percevoir le sens du désir perpétuellement inassouvi chez lui. Son verbe en était chargé, mais moins le ressenti… Bon, le choix de la mise en scène vise peut-être à rendre crédible son âge avancé, ce qui expliquerait la moins grande lubricité. Mais bon, comme on le sait, il reste que certains vieux aux désirs grivois, eux, en sont particulièrement pourvus.

Il va sans dire que «Quills» répond à mes critères d’excellence au théâtre. Le raffinement du jeu des comédiens, de la mise en scène, du texte et de la traduction exceptionnelle, tout dans ce spectacle m’a séduit.

Si vous avez la possibilité de ne voir qu’un seul spectacle ce printemps, choisissez d’assister à l’excellente pièce «Quills». Vous serez à la fois bousculé et séduit.


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