QUILLS = Exquis!
Publié par Esther Hardy le Mer. 6
avril 2016 à 15h30 - Contenu original
Théâtre, Doug Wright, Esther aux premières loges, Jean-Pierre Cloutier, QUILLS, Robert Lepage, Usine C |
Crédit photos: Stéphane Bourgeois
En coproduction avec le Théâtre du Trident, Ex
Machina présente la pièce «Quills» à L’Usine C jusqu’au 9 avril, dans une mise
en scène de Jean-Pierre Cloutier et de Robert Lepage avec Érika Gagnon,
Pierre-Olivier Grondin, Jean-Sébastien Ouellette, Robert Lepage, Jean-Pierre
Cloutier et Mary-Lee Picknell.
D’une saveur à la fois poétique et lubrique, ce
texte extrêmement intelligent de l’américain Doug Wright et savamment traduit
par Jean-Pierre Cloutier nous transporte au milieu d’une histoire lugubre, mais
tellement bien écrite qu’elle en devient captivante. Robert Lepage et
Jean-Pierre Cloutier ont peaufiné une mise en scène extrêmement bien ficelée.
Du grand art.
Je ne m’attendais pas à être séduite à ce point et
je ne parle pas de l’impact du Marquis de Sade expert en la matière, mais de
toute la facture de cette création. Je ne taris pas d’éloge!. Tout y est :
excellente interprétation, mise en scène de premier ordre, je dirais même la
meilleure et une scénographie étonnante. Ce spectacle n’a de commun que
l’histoire avec le film de Philip Kaufman sorti en 2000 « QUILLS- la plume et
le sang ».
«Quills» raconte la fin de vie du Marquis de Sade
campé par Robert Lepage, séquestré à l’asile de Charenton en France et
revendiquant par tous les moyens le droit d’écrire et de diffuser les
arabesques de son audacieuse plume érotique pour tout son auditoire à la fois
subjugué et assoiffé de divertissement. L’intrigue aura son dénouement dans les
efforts toujours plus exagérés de l’abbé, incarné par Jean-Pierre Cloutier qui croit
être capable de le sauver en l’obligeant à cesser l’écriture et la diffusion de
ses œuvres.
Reconnu mondialement, Robert Lepage a une
réputation qui n’est plus à faire. Son aura le précède, il a fait sa marque
avec des styles surprenants et de nombreuses innovations au théâtre, utilisant
intelligemment la technologie dans sa scénographie qui parfois devient même un
nouveau protagoniste de l’histoire. Donc, on aime ou on n’aime pas.
Personnellement, je ne suis pas attachée à la technologie sur scène, néanmoins
dans «Quills», elle va bien au-delà de tout voile qui masquerait l’art du jeu
avec une trop grande présence. En fait, la technologie y est si bien utilisée,
qu’elle se fond dans l’histoire servant admirablement celle-ci. Autant le texte
raffiné est magnifiquement bien construit, autant la technologie vient ajouter
une structure dans laquelle celui-ci se déploie admirablement.
Et pour ce qui est de son interprétation, Robert
Lepage campe un Marquis de Sade absolument exquis. J’ai tout aimé de son
interprétation. Pour résumer ma pensée : imaginez simplement le marquis de Sade
incarné par Robert Lepage et vous saisirez une parcelle des effluves de son
charme, de sa classe, de sa capacité de contrôle et des subtiles nuances de son
jeu. Cet aristocrate excentrique et extraverti lui va comme un gant. Il ne
manque pas d’élégance et de raffinement, a fière allure et est tout simplement
délectable.
À la fois naturel et soutenu dans le discours,
notons une très haute qualité de jeu de la part de tous les interprètes. Dès
l’entrée en scène de l’extravagante épouse du Marquis, campée par Érika Gagnon,
son jeu raffiné, énergique et puissant, met la table à cet excellent spectacle.
Le personnage de Renée Pélagie, cette jolie marquise, est féminine, émotive,
dramatique comme on imagine la femme de Sade. Toutefois, un peu plus en amont
dans la pièce, elle devient plus intime et affiche des positions provocantes,
on voit alors qu’elle n’est pas sans partager certains goûts licencieux de son
mari.
Incarné par le metteur en scène Jean-Pierre
Cloutier, l’abbé n’a rien à envier à la marquise. Ce personnage doux déborde de
bonnes intentions et il est tout aussi entêté que le marquis. Néanmoins, il
s’attaque à un ennemi d'une pointure trop grande pour lui, et ironiquement,
fomente sa propre chute en voulant soit-disant sauver ce dernier.
Revenons à l’exceptionnelle mise en scène, du haut
de gamme à la Lepage. Comme mentionné précédemment, je croyais ne pas être «
fan » de l’aspect plus technique de sa signature. Néanmoins, force est de
constater à quel point elle sert le propos. Par moments choisis, des miroirs
deviennent transparents pour nous laisser voir la scène qu’on imagine et
illustrer ce qui se joue de l’autre côté du miroir. En d'autres moments, on
peut voir deux scènes à la fois: devant les miroirs se joue celle qui suit les
événements et derrière, celle imagée, plus détaillée avec du croustillant. Offrant
une richesse de réflexions sur différents aspects de l'action, on peut même
voir jusqu’à trois différentes images à la fois. Absolument génial!
De plus, ces miroirs permettent aux comédiens de
jouer de dos, nous offrant trois profils supplémentaires de ces derniers, ce
qui témoigne d’une mise en scène très soucieuse et d’autant plus généreuse
envers le public. Aussi, ils contribuent à enrichir la liberté de jeu des
comédiens, leur offrant la possibilité de position plus naturelle, libre des
habituelles contraintes au théâtre, ce qui est indéniablement la signature
d’excellence des mises en scène de Robert Lepage.
Je garde en tête un moment très puissant lors des
cauchemars de l’abbé: la fabuleuse scène de sexe est bouleversante et le jeu
avec la croix témoigne de l’audace des comédiens. Puis, un autre moment fort du
spectacle : la magnifique scène lorsque le Marquis raconte une histoire à tous
les malades séquestrés qui la répètent ensuite naïvement de bouche à oreille.
Naturellement, la qualité du texte m’a beaucoup
interpellée. Voici, quelques répliques d’un superbe ton poétique qui m’ont
particulièrement touchée et que je paraphrase ici :
«C’est
toujours dans l’adversité que s’épanouit l’artiste.»
«La conversation, comme certaines parties de notre anatomie, se conserve mieux hydratée.»
«Nous laissons des flaques d’amour partout, l’autographe de votre infortune!»
«La conversation, comme certaines parties de notre anatomie, se conserve mieux hydratée.»
«Nous laissons des flaques d’amour partout, l’autographe de votre infortune!»
Et si je poussais mes exigences à la perfection
ultime, ma seule petite critique serait un manque d’une certaine dose de
sensualité chez le marquis, une parcelle d’érotisme dans le geste. En fait,
j’aurais aimé percevoir le sens du désir perpétuellement inassouvi chez lui.
Son verbe en était chargé, mais moins le ressenti… Bon, le choix de la mise en
scène vise peut-être à rendre crédible son âge avancé, ce qui expliquerait la
moins grande lubricité. Mais bon, comme on le sait, il reste que certains vieux
aux désirs grivois, eux, en sont particulièrement pourvus.
Il va sans dire que «Quills» répond à mes critères
d’excellence au théâtre. Le raffinement du jeu des comédiens, de la mise en
scène, du texte et de la traduction exceptionnelle, tout dans ce spectacle m’a
séduit.
Si vous avez la possibilité de ne voir qu’un seul
spectacle ce printemps, choisissez d’assister à l’excellente pièce «Quills».
Vous serez à la fois bousculé et séduit.
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