Comédienne

vendredi 12 août 2016

Chronique du 12 mars 2016...


Brière et Martin comme Godot et Beckett



Brière et Martin comme Godot et Beckett
Crédit photos: Olivier Chassé


Publié par Esther Hardy le Sam. 12 mars 2016 à 10h23 - Contenu original
Théâtre, Alexis Martin, Benoît Brière, En attendant Godot, Esther aux premières loges, François Girard, Pierre Lebeau, Samuel Beckett




Le Théâtre du Nouveau Monde présente la pièce la plus célèbre du répertoire de l’auteur Samuel Beckett, «En attendant Godot» jusqu'au 31 mars, avec une brochette de comédiens exceptionnels : Benoît Brière, Alexis Martin, Pierre Lebeau, Emmanuel Schwartz et Mounia Zahzam dans une mise en scène de François Girard, connu pour ses célèbres réalisations (Le violon rouge, Soie et la mise en scène de plusieurs spectacles du Cirque du Soleil).

À l’ouverture du rideau, notre monsieur B national, alias Estragon, examine un arbre sec tandis qu’on voit la lune descendre au loin. Son attente captive déjà et on se prépare à recevoir des petits points de dentelle d’une mise en scène digne de son auteur. «En attendant Godot» est l'histoire d’une amitié indéfectible, un texte touchant et complice où l’absurde du quotidien devient une forme de résilience bon enfant.



Crédits: Yves Renaud


Entre tous les personnages, la complicité est plus que palpable et se sent au centimètre. Notons particulièrement la gestuelle, le jeu physique, les malaises, l’impression de surprise et le poids de l’âge qui sont excellents; c’est du grand jeu. Même si l’histoire se situe autour de nos quatre personnages dans le désert, tout comme eux, on est toujours dans l’expectative de voir Godot arriver. Et dans cette attente perpétuelle, nos personnages deviennent très créatifs en tentant de se distraire pour meubler le temps.



Crédits: Yves Renaud



Suivant ses auditions de finissant au Quat'Sous, j'ai vu Benoît Brière pour la première fois sur la scène du TNM incarnant Grumio dans La Mégère apprivoisée. Impressionnée par son aisance, je me disais : « Voilà un naturel! Notre futur Louis de Funès québécois! » Bien de l'eau a passé sous les ponts et mes impressions se sont confirmées…

Même si cette pièce est plus près de l’absurde que de la comédie, l’humour y est absolument délicieux et le jeu d’Alexis Martin ainsi que de Benoît Brière impressionne. Comme cité précédemment, on assiste ici à du haut calibre, un travail de grande pointure. Ils sont attachants, touchants, drôles... Même si dans le plaisir du jeu, Benoît nous décoche quelques pointes de cabotinage, on se passionne de ses délires.



Crédits: Yves Renaud


Avec sa présence à la fois rassurante et bouleversante, Pierre Lebeau nous peaufine un Pozzo vociférant avec justesse ses ordres de sa voix imposante et décochant élégamment quelques courbettes aristocratiques à nos comparses.



Crédits: Yves Renaud


Comédien toujours posé et réfléchi, Alexis Martin incarne avec brio Vladimir, meilleur ami d'Estragon, personnage d’une patience d’ange, bon enfant, avec l’espoir chevillé au cœur et d’une tendresse infinie pour son inséparable ami. Un contraste parfait entre nos deux personnages qui sont plus que complémentaires. On rit avec eux, on s’ennuie avec eux, on espère avec eux… Assister à la prestation de ces monuments, à cette qualité d’harmonie dans l’accomplissement de leur art est un enseignement du jeu théâtral en soi.



Crédits: Yves Renaud


Malgré sa dizaine d’années d'expérience de comédien, le talentueux Emmanuel Schwartz dans le rôle de Lucky, n’a rien à envier à ses comparses de jeu, notamment dans un monologue exceptionnel. De plus, son aisance de jeu physique impressionne dans des positions impossibles…au point de me demander s’il a fait du cirque!



Crédits: Yves Renaud


Soucis de la scénographie, chaque jour le soleil et la lune effectuent leur trajet naturel avec la pénombre. Ils bougent pendant le temps qui passe afin qu’on chemine pas à pas vers le soir et que la nuit se présente tout naturellement. Le décor doublé de son miroir inversé présente une scène désertique avec un arbre sec en son centre. Au plafond, on retrouve une reproduction identique. Et au milieu de l’espace scénique, le faîte des deux arbres se touche presque, dessinant ainsi la forme d’un sablier. Puis, pour couronner le tout, le sable coule du plafond. Le tableau est tout simplement magnifique, minimaliste et très payant : l’image du temps interminable qui passe en attendant Godot.



Crédits: Yves Renaud


La mise en scène est éminemment raffinée jusque dans les menus détails. Sur le plan sonore, on n'entend aucune musique mis à part quelques sons de la nature dans les entre-scènes: chant d’oiseaux, brise du vent, cri de petits animaux, etc., ce qui évoque adroitement le désert.


Je me questionnais sur le choix du niveau de langage légèrement soutenu. Ces deux tristes sires issus d’un milieu très humble ont passé leur vie à «en arracher». Je cherchais donc la motivation derrière un niveau de langage qui sied à des gens de lettres bien éduqués, attendant de les entendre dévoiler un passé de professeur, d’auteur ou d’autres professions libérales, le clin d’œil du métier de poète d’Estragon ne suffisant pas pour le justifier. Néanmoins, après l’avoir remarqué, m’être questionnée durant les premières minutes, je suis entrée dans l’histoire et ça ne m’a plus agacé.



François GirardCrédits: Yves Lacombe


La somme des talents de tous ces créateurs se décuple elle-même sur la scène du TNM. L’apport de chacun renforce les autres et élève le jeu à un niveau toujours supérieur. Évidemment, le travail d'orfèvre du talentueux directeur d’acteur et metteur en scène François Girard y a grandement contribué, particulièrement dans sa préparation impeccable et la facture qui en résulte. Habitué à des œuvres plus exigeantes, cet honorable artiste et ambassadeur québécois confirme à nouveau la maîtrise de son expertise, la signature de son œuvre impressionnante. Paris plus que dépassé !



Samuel BeckettCrédits Jane Brown


Ce que l'auteur Samuel Beckett dit de son oeuvre: « j'ai commencé à écrire 'Godot' pour me détendre, pour fuir l'horrible prose que j'écrivais à l'époque.» On lui a souvent demandé qui était Godot, suggérant un surnom pour «God»? Il n'a jamais voulu révéler une signification particulière à ce personnage absent et dit s'être tout simplement inspiré, par association, aux noms d'argot «godillot, godasse», puisque les pieds revêtent une grande importance dans la pièce. Auteur de l'absurde, style littéraire pour lequel il a excellé en français et en anglais, il cherchait à mettre en évidence des situations impossibles et la façon dont les hommes réagissent lorsqu'ils y sont confrontés.

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